Cet hypothétique retour vers les campagnes, c’est-à-dire vers les petites et moyennes agglomérations, moins denses en population comme dans leurs formes urbaines, suppose avant tout le désir d’un habitat suffisamment vaste et confortable, et surtout, disposant d’un espace extérieur.
France Culture – La contre-urbanisation : tous à la campagne ? 01/04/2020
Rappelons que la maison individuelle est aujourd’hui le mode d’habitat dominant en France, et que, bien avant la crise sanitaire, elle représente l’aspiration d’une large proportion de ménages, avec une nuance tout de même sur l’habitat pavillonnaire périphérique, récemment décrié. Si ces aspirations venaient à se concrétiser, la question de l’urbanisation des campagnes deviendrait alors cruciale.
Dans cette optique, on peut imaginer deux types de conséquences :
– Une revitalisation de l’habitat existant : un certain nombre de résidences secondaires pourraient muter en résidences principales ; des habitats vacants, notamment dans les bourgs ruraux, pourraient être réinvestis ;
– Un accroissement de la demande en habitat neuf.
Dans le premier cas, cela constituerait une véritable aubaine pour les territoires qui peinent à remédier, soit à un non-renouvellement de leurs populations vieillissantes, soit à une attractivité saisonnière qui pénalise les habitants à l’année. Cela supposerait néanmoins pour les territoires accueillants la mise en place des conditions économiques et technologiques pour l’installation de populations actives, ce qui fait aujourd’hui souvent défaut. On sait, en outre, à quel point l’habitat ancien peut repousser de potentiels acquéreurs : complexité et coût de la rénovation, inadaptation aux modes de vie actuels (très petits jardins, voire absence d’espaces extérieurs privatifs), contraintes réglementaires dans le cas de secteurs protégés, etc.
Ainsi, la deuxième hypothèse, celle d’une pression accrue sur les territoires ruraux, petites villes et villes moyennes de la demande en habitat neuf, majoritairement individuel, semble un scénario plausible pour les années à venir.
Pour en cerner les enjeux il convient de constater la situation actuelle de ces territoires. Comme mentionné en introduction, la densité urbaine commence aujourd’hui à être pointée du doigt après avoir été largement plébiscitée, en tant que remède à l’étalement urbain en périphérie des agglomérations. La densification en cœur des villes suscite des critiques : minéralité, manque d’urbanité et d’humanité, …
Médiacités – Île de Nantes : à la recherche d’un esprit disparu – 9 janvier 2020
La crise sanitaire actuelle, induisant mesures de confinement et de distanciation sociale, accentue la remise en question d’un certain modèle urbain dense, dont les exemples d’architectures verticales, aux façades fermées et austères en sont l’illustration concrète et identifiable par tous.
Métropolitiques – La ville dense a trahi ses habitants, par Jacques Ferrier, le 27/04/2020
Les territoires éloignés des grandes agglomérations semblent quant à eux plus adaptés aux modes de vie en temps de pandémie, en témoigne le nombre significatif d’urbains ayant pris la clé des champs à l’annonce du confinement.
Par ailleurs ces mêmes territoires semblent relativement oubliés, ou du moins sont peu médiatisés quant à leur mode de développement urbain et aux problématiques induites. L’étalement urbain est certes un sujet de préoccupation relativement relayé mais il l’est généralement à propos des grandes aires urbaines, la fameuse « France périphérique ». Les images aériennes de lotissements à perte de vue, type « suburbs » nord-américains, sont frappantes mais n’illustrent qu’une partie du phénomène sur le territoire. De plus, si les surfaces de zones à urbaniser ont tendance à diminuer au sein des règlements d’urbanisme communaux, de par le cadre législatif (loi ALUR – Chapitre III : Lutte contre l’étalement urbain et la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers – Article 139 – octobre 2014), force est de constater en parcourant le territoire (et les appels d’offres de marchés publics…) que le phénomène d’étalement urbain est loin d’être enrayé.
La dualité « densité / étalement » vaut ainsi pour l’ensemble des territoires. Il est même à craindre que l’enjeu en soit plus fort pour les petites agglomérations qui ont vu ces soixante dernières années leur aire urbaine s’accroître considérablement en comparaison de leur noyau historique. C’est en additionnant les hectares et les hectares d’extensions urbaines, disséminés au sein du maillage urbain à la fois dense et dispersé qui caractérise le territoire, que l’on prend conscience de l’ampleur du phénomène, qui, pris à l’échelle d’un village pourrait cependant paraître insignifiant ou indolore.
L’enjeu n’est-il donc pas de cesser d’opposer villes et campagnes, et plutôt de proposer des formes d’intensification urbaine au niveau des petites agglomérations, permettant de répondre à un hypothétique accroissement de population, et, in fine, d’engager une « désintensification » des métropoles ? Autrement dit, tendre vers un rééquilibrage, une redistribution, de densité urbaine (population, tissu économique, culturel, technologique, …) entre villes et campagnes.
Le défi serait alors de conjuguer des formes urbaines denses tout en étant agréables à vivre, humainement, socialement, individuellement et collectivement. En secteur urbain dense, permettre à chacun d’accéder à un logement suffisamment confortable et spacieux au regard du nombre d’occupants, avec un rapport de proximité au sol vivant, aux écosystèmes végétaux et animaux. Au sein des petites unités urbaines, retrouver une certaine densité, proche de celle des tissus historiques, permettant de dynamiser les territoires, d’intensifier la vie collective, de contenir les déplacements automobiles, tout en portant une grande vigilance à la préservation des espaces agricoles et naturels environnants.
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Pour illustrer en partie ce propos théorique, en particulier sur la densification en secteur rural, nous présentons ci-après le résultat d’une étude urbaine de faisabilité sur la densification d’un cœur d’îlot, réalisée en 2019 sur la commune de Bois-de-Cené (85), commune d’environ 2000 habitants, située à une dizaine de kilomètres d’une ville moyenne, Challans. Maîtrise d’ouvrage portée par l’Etablissement Public Foncier de Vendée pour la commune de Bois-de-Cené / Maîtrise d’œuvre en collaboration avec l’atelier lau architecture et urbanisme (mandataire) et OCE environnement et ingénierie
La composition urbaine s’inspire des formes vernaculaires du centre-bourg, propose une variété de typologies d’habitat individuel et semi-collectif, disposant chacun d’un espace extérieur privatif, intègre des surfaces en rez-de-chaussée pour commerces et services, l’ensemble organisé autour d’espaces extérieurs communs : le jardin collectif avec la grange réhabilitée, les cours et allées, les abords de la mare préservée.
Les logements sont desservis par des chemins piétons qui rejoignent un espace de stationnement commun. La densité est de 28 logements / hectare, soit un ratio relativement élevé au regard des typologies architecturales, et comparativement 2 à 3 fois plus fort que celle des lotissements de maisons individuelles attenants.
Ce projet relativement ambitieux (pas d’accès véhicule aux logements, mixité logement / activité, espaces collectifs généreux) a été approuvé et porté par la commune. Malgré cela, sa faisabilité est remise en question pour des raisons économiques, comme c’est souvent le cas pour ce type de projet.
Les raisons identifiées sont les suivantes :
– Un coût élevé d’achat du foncier en secteur urbain ;
– Des opérations « complexes » c’est à dire avec peu ou pas de typologies libres (offrant le meilleur rapport économique : prix/m² de vente du terrain élevé et prestations annexes limitées), mais de l’habitat dense, individuel et/ou collectif (moins rentables : prix/m² de vente du « produit fini » – terrain & maison – moins élevé, incluant des coûts d’ingénierie, de construction et d’aménagement) ;
– Difficulté de trouver des opérateurs pour construire des logements en petit nombre, de surcroît en secteur éloigné des pôles urbains ;
– Des projets de petites tailles, voire morcelés, nécessitant néanmoins des infrastructures de desserte en réseau et voiries coûteuses, avec parfois des difficultés d’accès aux sites ;
– Des coûts de maîtrise d’œuvre (conception, ingénierie) et de maîtrise d’ouvrage (souvent assurée par un aménageur pour la conduite d’opération et la commercialisation) relativement élevés au regard des surfaces à aménager, du fait de la complexité des sites.
Les opérations de densification pâtissent ainsi de coûts d’investissement non compensés par les recettes. Cela représente une dépense non négligeable pour les communes qui aspireraient à un équilibre budgétaire, comme cela peut être le cas pour les projets urbains « classiques » menés en lisière des villes. En contrepartie, il n’existe actuellement pas de financements publics spécifiques à l’échelle nationale, permettant la mise en œuvre d’une alternative réaliste à l’étalement urbain.
En conclusion, il n’est bien sûr pas question de prendre cet exemple de projet urbain, conçu pour un territoire en particulier, comme un modèle à dupliquer. En outre, la densification en secteur périurbain ou rural peut faire appel à divers autres processus non développés ici (rénovation urbaine et renouvellement urbain portés par la collectivité, diversité de projets mis en œuvre par les propriétaires privés).
On peut cependant espérer que ce type d’urbanisation puisse voir le jour et se développer dans les années à venir, qui sait, porté par la tendance d’un « retour à la campagne », dans tous les cas, porté par une volonté commune d’enrayer le processus d’urbanisation en périphérie des aires urbanisées.
Autres ressources :
Métropolitiques – Covid-19 : les campagnes moins touchées que les villes ? – 23/04/2020